Europa*city, qu’est-ce que c’est ?

 

Je n’irai pas à l’exposition « Europa*city » dans laquelle la Maison de l’Architecture se compromet totalement ! Pire, notre « maison » salit et ridiculise notre métier, déjà bien mal en point. Ce n’est pas moi qui ai écrit le premier que l’architecture est presque totalement soumise aujourd’hui à la promotion immobilière, que ce sont ces derniers qui font aujourd’hui nos « villes »…

Toute connaissance architecturale et urbaine dans l’art de bâtir les villes a donc totalement disparu. Les « petits hommes en costumes » ridiculisent même le langage et la pensée, singeant un discours élégant et cultivé, et prononçant des phrases vides de sens à force de concepts édulcorés ! Le discours des intellectuels est moqué et déformé, comme si plus rien n’avait de sens… C’est la meilleure méthode qu’ils ont trouvé pour transformer les êtres que nous sommes en « ventres », en consommateurs puérils. Les êtres qui pensent sont leurs ennemis, les dangers qui les menacent.

Je vous donne quelques exemples de leurs discours :

  • « le groupe (Immochan) est convaincu que des alternatives aux pratiques dématérialisées, qui soient inscrites physiquement dans le temps et dans l’espace, continueront à séduire les consommateurs si elles proposent une expérience et un moment uniques à ses visiteurs et intègrent une dimension touristique »
  • « EuropaCity est la première station urbaine du temps libre »
  • « EuropaCity tisse les usages – culture, loisirs, hôtels, séminaires, évènements, shopping – pour une expérience unique, un parcours immersif, ludique et pédagogique »
  • « L’engouement suscité par internet a sans doute reflété chez nombre d’individus une forme de liberté retrouvée, en rupture avec les pesanteurs du monde réel : gratuité d’accès, offre de contenus sans limite connue, abolition des contraintes matérielles horaires et de déplacement, individualisation des pratiques… Et de manière plus déterminante encore, un cheminement intuitif entre des univers décloisonnés. »
  • « le projet fait l’objet de réflexions prospectives pour réussir à créer un lieu, sans équivalent dans le monde, qui ne soit pas la reproduction de modèles vus ailleurs mais une réponse pertinente aux aspirations et évolutions de modes de vie et à la métropole parisienne » Christophe Dalstein, directeur exécutif d’Europa City SAS…

A lire ceci (j’ai effectué certains soulignements), vous comprendrez que la verve est abondante, et que je ne peux pas être exhaustif ! Je vous renvoie donc pour le reste vers le site officiel d’Europa*city… Que pouvons nous lire et comprendre ? Que l’avenir est repeint en rose ! Demain, on rase gratis… Tout sera plus beau et meilleur… On ne vous dit pas que c’est avec votre argent (votre travail transformé en impôt), non, c’est « immatériel » ! Finie l’époque où vous travailliez, transpiriez, produisiez… Aujourd’hui on consomme, on rigole, tous les jours…

Où se situe le projet ? 

A l’instar de Saclay, le projet sacrifie les meilleures terres agricoles à proximité immédiate de Paris : ici il s’agit du « triangle » de Gonesse. Ces terres agricoles préservent dans une agglomération qui s’étend en nappe d’huile des espaces de nature qui font de surcroît vivre des familles d’agriculteurs. Outre l’intérêt « culturel » et éducatif d’une telle préservation, il s’agit d’un système productif qui nourrit des familles, des industries de transformation, et produit de la nourriture à des milliers d’habitants… A ce système remarquable les promoteurs du projet entendent substituer un système de dépense pure, fait de consommation et de loisirs… Jusqu’où irons nous dans la destruction des moyens de production de notre pays ? La société idéale qui nous est « vendue » est-elle constituée uniquement de consommateurs ; est-ce possible et crédible?

Qui réalise le projet ?

Le projet est présenté comme une réalisation phare du Grand Paris : nous pourrions penser à un projet urbain global, porté par la puissance publique… En fait il s’agit d’un investissement privé, porté par la famille Mulliez, propriétaire de la marque Auchan. La structure immobilière du groupe, Immochan, investirait environ 1,7 milliards d’euros dans cette réalisation, sous conditions. Une des conditions est la desserte du lieu par le métro automatique du Grand Paris (inutile dans le cas de terres agricoles actuellement), et qui nécessite un détournement, chiffré à environ 330 millions d’argent public par certaines sources… L’autre condition sur laquelle je n’ai pas de chiffres a bien sur rapport au foncier et au coût d’acquisition des terrains, agricoles aujourd’hui (donc peu chers ?) !

L’investissement financier du groupe Auchan doit donc être tout à fait relativisé en termes de risques, toutes les précautions ayant été prises et reportées sur la gestion publique du projet ! La somme investie en immobilier est d’ores et déjà répartie n termes de risques puisque de grandes enseignes comme ls Galeries Lafayette par exemple collaboreront…

Nul doute pour des financiers avertis que le risque de perte est réduit au maximum ! Comme dans le projet d’Eurotunnel, ce sont les contribuables qui prendront les risques, à la hauteur des rêves qu’on leur fait miroiter (dans le cas d’Eurotunnel, les hypothèses les plus farfelues ont été avancées, comme le fait que 100% du trafic trans-Manche serait capté… ! Dans le cas d’Europa*city, il est vraisemblable que les effectifs de fréquentation annoncés – 40 millions de visiteurs – soient tout à fait illusoires !)

Quel projet ?

Europa*city est présenté comme un « hub créatif » européen !!! Qu’est-ce que cela veut dire ? Oublions le langage commercial de l’affaire : est-ce un morceau de ville mixte et pluriel, qui allierait logements, commerces, activités, équipements collectifs ? Les villes comme elle se sont constituées de tous temps, de manière progressive et complémentaire…

Non ; à proximité de l’aéroport, au bout des pistes, il est interdit de construire des logements ! Ce sera donc un semblant de ville, auquel manqueront les habitants : nous serons des « visiteurs », comme à EuroDisney, réduits à consommer…

Les centres purement commerciaux ont vécu : ils attirent moins les visiteurs, et comme ils s multiplient au-delà des besoins des habitants, leur fréquentation est souvent inférieure aux prévisions (cf. Le Millénaire à Aubervilliers). Pour un investisseur privé, il est aussi « délicat » de mettre à contribution les contribuables (métro automatique) s’il ne propose quelques programmes alléchants comme des centre de loisirs ou de culture (spectacle) ! Nous en sommes là…

Est-ce un morceau de ville ?

A notre connaissance il n’y a pas eu de travail d’urbaniste consistant à dessiner la ville, ce qui voudrait dire élaborer un dessin des trames urbaines, des voieries, des espaces publics, des espaces à construire… et des règles d’urbanisme qui s’appliqueront : hauteur des constructions, prospects, alignements, etc. !

Les projets qui nous sont présentés sont des projets d’architectes, apparaissant chacun comme un seul bâtiment plus ou moins fragmenté, pour les besoins d’apports de lumière naturelle…

Le statut du foncier ?

Aujourd’hui le foncier est de nature agricole et vraisemblablement classé en zone inconstructible. Comme nous le savons il acquière de ce fait une valeur marchande moindre ! A quel prix le foncier va-t-il être acquis, et par qui ?

Ce peut être un organisme public qui le redistribuerait ensuite ; quel va être le circuit financier ? Le foncier va-t-il être acquis en totalité par la société Immochan ? Ou va-t-il être distribué entre différents opérateurs qui additionneront ensuite leurs projets slon un schéma directeur ?

Cette question est fondamentale. Est-ce que, comme dans une vraie ville, un espace public relie et dessert les espaces privatifs ? Cet espace public est alors ouvert à tous, à toute heure du jour et de la nuit, et son entretien appartient à la collectivité… Ou cet espace sera-t-il privé, éventuellement fermé à certaines heures et d’accès contrôlé ?

La ville…

Le terme « city » employé pour nommer ce projet laisse penser qu’il s’agit d’une ville… Est-ce bien vrai ? Comme nous le disions plus haut, la ville se constitue d’une multiplicité d’opérateurs, petits, moyens ou grands selon la taille des projets, et tous obéissent à des règles constructives. Le terrain va-t-il être divisé en îlots et en parcelles pour assurer cette mixité et cette pluralité ? Verra-t-on des immeubles de bureaux de différentes tailles, des hôtels de différentes natures, même de petits investisseurs, de même pour les commerces ?

La philosophie du projet

Le thème du projet serait de proposer une expérience sur un même site des différentes cultures européennes. L’aéroport situé à proximité semble indiquer que la meilleure manière de pratiquer ces expériences est de voyager et d’aller à la source de ces expériences, pas d’en vivre une pâle copie ! Pourquoi donc un tel emplacement ?Trois des quatre projets se couvrent d’un grand toit de « nature », comme si l’on pouvait faire croire que la nature existante en ce lieu serait préservée ! Les champs de Gonesse reposent sur des mètres voire des dizaines de mètres de terres et limons… Comment nous faire croire que la malheureuse végétation sur des toits de béton sera équivalente ? Il suffit pour s’en convaincre de regarder la dalle plantée des Halles à Paris !

Et quid des nappes phréatiques ? Un concurrent se hasarde à nous dire que les eaux seront récupérées et filtrées par ce complexe pour ressortir « propres »… comme si les eaux pluviales ne l’étaient naturellement !!!

Le quatrième candidat nous donne une clé… qui ne doit pas ouvrir beaucoup de serrures ! Il s’agit ni d’un bâtiment, ni d’une ville… mais d’un « système capable » ! Derrière ce langage abscons, voilà au moins une vérité rétablie : il ne s’agit pas d’un ville, d’une city, mais d’un complexe. « Un rêve devenu réalité » comme il dit, mais pas le rêve d’une communauté, le rêve d’un esprit tout puissant…

Je vous livre quelques phrases des équipes :

  • « Cette promenade circulaire permet de se perdre tout en retrouvant son chemin. » (comme dans tous les centres commerciaux, cf. Forum des Halles)
  • « créer un nouveau concept périurbain : l’Agri-Culture »
  • « Un immense carré abstrait délicatement posé sur le site jusqu’à la gare »
  • « Une forme urbaine qui allie ville dense et paysages ouverts »

… pour ceux d’entre vous qui ont lu Deleuze, celui-ci a très bien énoncé que le concept relevait de la philosophie, certainement pas de l’urbanisme ou l’architecture… Les domaines artistiques relèvent des perceptions.

A suivre…

Il y a encore beaucoup de choses à dire… Je vous laisse poursuivre et enchaîner. Je n’ai fait qu’une lecture partielle su site officiel d’Europa*city ; je vous suggère de reprendre cette lecture de manière plus approfondie.

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